Ce n’est pas de l’authentique photographie pinhole. C’est un appareil photo numérique qui recrée un peu cet effet, avec des possibilités de travail sur les temps de pose.
Pourquoi pas, un de ces jours, prendre le temps, à tête reposée, de construire un véritable appareil pinhole, ce qui n’est pas aussi effrayant, ni aussi difficile qu’on pourrait l’imaginer…
« L’arrosoir rouge »« Books »« Old curiosity shop »
Serrée contre les aspérités de ton grand manteau noir. Un large soleil métallique et glacé d’hiver irrémédiable. Novembre, rue des Écoles. La façade secrète de La Sorbonne. Et soudain, revoir ma jeunesse au pied léger… Étudiante, sac en bandoulière, les amants maladroits dans les chambres de bonnes. Les films en noir et blanc dans les salles d’art et d’essai. Chéri, le temps est un fossoyeur sans états d’âme. Serrée contre les aspérités de ton grand manteau noir. Je te raconte « Le Café de Cluny » disparu, profané par une quelconque pizzeria de chaîne. La même à Singapour, et la même à Berlin. S’arrêter devant la vitrine d’une librairie. Nos reflets amoureux au beau milieu des pièces de Sartre et des pensées de Hannah Arendt. Ton nez dans mon cou. Tu t’enivres de mon parfum fané de vanille. Tu t’en enivres avant, de tout à l’heure, le dévorer du bout des dents, sur ma peau vibrée par ta peau. Quand tu seras reparti vers ta terre d’Amérique, quand l’océan aura fait son office de déchirure, dans un supermarché, juste avant Noël, ce parfum de vanille dans une travée. L’espace éternel d’un quart de seconde, tu croiras à l’incroyable, à l’impossible. Tu croiras à un tapis volant qui m’aurait ramenée à toi. Tu lèveras les yeux, les bras prêts à se tendre, à se rendre. Mais, cette femme qui te dépasse, poussant son chariot rempli de dindes surgelées n’est pas moi. Moi, déchirée contre toi dans les draps de l’amour comme autant de marées. Serrée contre les aspérités de ton grand manteau noir. Ma main dans ta main et ta main dans ta poche. Tant de déambulations ainsi, en funambules maladroits sur les jours qui nous sont comptés. Ta main…Ta main qui rêve Debussy ou Ravel sur le grand Steinway au fil des hivers sans fin à deux souffles du lac Érié. Se souvenir de Madame Rigaud, professeur de géographie, sèche comme une vieille fille ennuyeuse qui se met à gloser des grands lacs américains; Érié, Michigan, Huron; elle postillonne un peu. Comment savoir, en ces temps à peine pubères, sur les bancs du lycée Jean-Jacques Rousseau, que Madame Rigaud me parle alors de moi, me parle alors de mon amour… Ta main…Ta main d’homme de terre rugueuse et combative. Ta main aux callosités quand elle débite le bois, nettoie la grange et nourrit les chevaux. Ta main…Ta main de caresses. Ta main qui dégrafe. Ta main qui déboutonne jusqu’aux larmes, jusqu’au bout… Serrée dans les aspérités de ton grand manteau noir…
Ils sont venus ? Il y a longtemps ? Je ne sais pas Je ne sais plus Ils ont laissé des traces ? Je sais Qu’ils ne sont pas revenus…
Je confonds Les rochers Je ne reconnais plus Le phare à sa blancheur Remettre mes vagues folles Dans les pas de la plage…
Ils sont venus ? Je ne sais plus Si vous le dites… Mais s’ils ont existé Ils sont vieux ce matin Non ils ne sont pas vieux Car ils sont juste morts Je ne sais pas Je ne sais plus Ils ne sont jamais revenus…
Je confonds les saisons Emmêle les marées Embrouille les tempêtes Tiens je crois que le port A changé de place Dans la nuit…
Ils sont venus ? Vous êtes sûrs ? Je suis trop vieille Maintenant Ils ne reviendront pas Je ne sais plus Mais regardez là-haut C’est l’amour qui les attend Toujours Il est assis… Il lit sur le banc…
Le vent se lève Te brouille T’emporte Inexorable Rien Qui se dresse entre nous Le vent se lève Tu ne peux pas rester Je ne peux pas te retenir Le vent t’envole Le vent te ravit Je reste sur la berge D’un lac invisible Je reste Quand Des branches mortes Me viennent A la place des mains Des racines tourmentées À la place des pieds Quand bat À la place de mon cœur Une petite urne Remplie De la cendre des arbres.
L’orage dans les averses Le cri d’enfant dans le jardin Le ressac perdu de la mer Le chat en boule sur la véranda La touffeur confuse des étés Le serpent rouge du ruisseau Mon parfum de vanille Les stations du métro Les cris des coyotes en hiver Les romans de Modiano Le Beaujolais qui pique L’haleine des tornades Le silence de la neige La musique des plaines Les symphonies de Piston La pluie qui dort sur le carreau Les pins dans le sable noir Les Landes qui menacent Le livre oublié sur la table Les rêves les rêves encore les rêves Le piano qui attend au coin du feu Les vapeurs du Mississippi Les pages de Julien Green Les restos songeurs du Carré Français Les patins à glace de ton père Les inondations du printemps Les huîtres à Paris Le goût de la caresse Les bruines de Seattle La Dame à La Licorne Et le Musée Rodin Les avions qui s’en vont Les promesses d’Arcachon La lune qui médite Le lac quatre saisons Les façades de Bordeaux L’été indien de nos tendresses Ta main ta main encore ta main La rupture qui se consume Les présages qu’on avait oubliés La Valse de l’Adieu Le chien blanc dans le vent Les phares comme des prie Dieu La plume qui se brise L’encre qui a séché…
La rade est blanche La rade est lisse La rade est bleue
Au-delà de la digue obtuse Le souffle de la pleine mer
Le quai est gris La pluie est violine Le ferry est rouge
Au-delà de la sirène qui tremble, assourdit Le départ
Et il faut laisser derrière soi Dans quelque sens que l’on voyage Il faut laisser une histoire Il faut laisser un visage Il faut laisser faire la marée Il faut donner carte blanche à l’oubli
Le port est brique Le port est vert Le port est vague
Au-delà du large intemporel Les bras de terre qui se referment
Le pub ouvert Les frites au vinaigre Et d’autres souvenirs
Au-delà du temps interrompu Le ferry repartira tout à l’heure dans la nuit
Et il faut accueillir Dans quelque sens que l’on voyage Il faut commencer une histoire Il faut effleurer un visage Il faut laisser faire la marée Il faut donner carte blanche à l’amour
La rade est blanche La rade est lisse La rade est bleue